Paul Nizan est né le 7 février 1905, à Tours, d’une famille bretonne qui, comme celle des Bloyé, avait quitté la campagne ; son grand-père et son père furent employés aux Chemins de Fer. Son père, comme Antoine Bloyé, héros de son premier roman, avait passé la ligne qui sépare le prolétariat, d’où il venait, de la petite-bourgeoisie. Nizan tentera le passage en sens inverse, en vain selon Sartre : « Il était proche par le sang de ses nouveaux alliés : il se rappelait son grand-père qui “ restait du côté des serviteurs de la vie sans espoirs ” ; il avait grandi comme les enfants de cheminots dans des paysages de fer et de fumée ; pourtant, un diplôme des quat’zarts avait suffi pour plonger son enfance dans la solitude, pour imposer à la famille entière une métamorphose irréversible ; jamais il ne repassa la ligne : il trahit la bourgeoisie sans rejoindre l’armée ennemie et dut rester comme “ le Pèlerin ” de Chaplin, un pied de chaque côté de la frontière ; il fut jusqu’au bout l’ami, mais il n’obtint jamais d’être le frère de “ ceux qui n’ont pas réussi ”. Ce ne fut la faute de personne, sauf des bourgeois qui avaient embourgeoisé son père. » Ce portrait de l’intellectuel qui entre au Parti pour se laver de la faute d’être intellectuel et bourgeois, et qui sent peser sur lui ce péché originel même dans la camaraderie la plus profonde est peut-être trop idéalement sartrien pour être complètement exact. Il n’est pas sûr que Nizan soit entré au parti communiste comme on entre dans les ordres, pour expier ses péchés, mais il est sûr que cette attitude fut celle de plusieurs de ses amis, et de beaucoup d’intellectuels de l’époque…